Entre 1840 et 1930, plus de 900 000 Canadiens français quittèrent leur pays pour s’établir en Nouvelle-Angleterre. La plupart, agriculteurs en quête d’améliorer leur sort, trouvèrent du travail dans les villes industrielles américaines et fondèrent des « Petits Canadas » en cours de route. Ils amenèrent avec eux « La Survivance », une lutte pour conserver leur langue, leur culture et leur foi, et travaillèrent durement dans les usines tout en s’adaptant à la vie dans leur nouveau pays. Ils ont laissé un impact culturel important et permanent en Nouvelle-Angleterre. Aujourd’hui, les descendants des Canadiens français représentent environ 20 % de la population des 6 États de la Nouvelle-Angleterre : Maine, Vermont, New Hampshire, Massachusetts, Rhode Island et Connecticut.
Même si les locuteurs natifs de langue française représentent moins de 1 % de la population de la région, l’identité et la fierté canadienne-française sont encore présentes parmi leurs descendants. Dès le début de la migration canadienne-française vers la région au milieu du 19e siècle, cette communauté a maintenu en tant que groupe distinct, sa langue, sa religion et ses coutumes pendant plus de quatre générations, avant de s’intégrer graduellement à la société de la majorité après la Seconde Guerre mondiale et pendant la seconde moitié du 20e siècle. En suivant la Franco-Route, vous parcourrez le voyage qui rappelle celui de ces gens en découvrant leurs motivations, leurs défis, leurs succès ainsi que et les traces qu’ils ont laissées sur la Nouvelle-Angleterre d’aujourd’hui.
L’exode des Canadiens français vers les États-Unis
Après l’échec de la révolte des Patriotes de 1837-1838 qui suivit la conquête de la Nouvelle-France par les Britanniques, les Canadiens français devinrent minoritaires dans leur propre pays, d’abord en politique puis en nombre. L’élite canadienne-française avait perdu beaucoup de son importance, alors que l’Église catholique ainsi que l’élite commerciale et financière anglophone devinrent plus permanentes. Cela a eu d’énormes répercussions pour les Canadiens français qui ont maintenant beaucoup moins de pouvoir sur leur destin collectif et qui ont ressenti le besoin d’entrer dans un état d’asservissement pendant des décennies qu’on appelle l’ère de « La Survivance ».
Avec l’arrivée au Canada d’un grand nombre de migrants provenant des Îles Britanniques, et avec l’augmentation de la population en raison du taux de natalité élevé chez les Canadiens français (encouragés par l’Église catholique), les terres agricoles les plus productives le long de la vallée du Saint-Laurent sont rapidement devenues surpeuplées, ce qui a même entraîné la famine. Cela a encouragé les autorités à ouvrir de nouvelles terres agricoles dans des régions moins productives, plus éloignées des établissements où historiquement les Canadiens français pouvaient s’établir. Ces nouvelles régions, qui devaient être défrichées et récoltées dans des conditions difficiles, ne satisfaisaient pas la plupart des nouveaux arrivants. Un grand nombre d’entre eux a été attiré par la vie dans les villes, que ce soit au Canada ou ailleurs.
Les anciennes colonies surpeuplées le long de la vallée du fleuve Saint-Laurent et les zones de colonisation nouvellement ouvertes sont devenues des lieux de choix pour des recruteurs de partout cherchant à embaucher de très grand nombre de travailleurs. Les propriétaires d’usines en Nouvelle-Angleterre faisaient partie de ceux qui envoyèrent ces recruteurs dans les villages du Québec car ils ont rapidement vu l’occasion que ces Canadiens français pouvaient représenter pour eux. Ils étaient considérés comme respectueux de l’autorité ainsi que de bons travailleurs et non syndiqués. Les travailleurs canadiens-français ont également été sollicités en raison de leur volonté, comme les Irlandais et beaucoup d’autres groupes d’immigrants avant eux, d’accepter des salaires inférieurs et des conditions plus dures que les protestants anglophones nés localement. En fait, les Canadiens français étaient prêts à accepter de telles conditions parce que cela représentait une occasion pour eux. Dans les usines de la Nouvelle-Angleterre, ils gagneraient en moyenne environ trois fois le montant d’argent qu’ils gagneraient à travailler dans les mêmes types d’usines à Montréal.
“Le symbole central du Canada – et ceci d’après de nombreux exemples dans la littérature anglaise et française – est sans aucun doute La Survivance.”
— Margaret Atwood
C’est pourquoi, entre 1840 et 1930, plus de 900 000 Canadiens français et Acadiens ont décidé de partir et de s’installer dans l’une des nombreuses villes textiles de la Nouvelle-Angleterre. Habituellement, c’était des familles entières qui se déplaçaient ensemble. Souvent un ou deux membres de leur famille avaient déjà pris la chance de bâtir une nouvelle vie à l’étranger, avant d’encourager le reste de la famille, et même parfois leurs voisins du village, à se déplacer vers le sud avec eux. Beaucoup sont revenus, mais ceux qui sont restés ont eu un impact profond et durable sur la société où ils se sont installés. Aujourd’hui, environ 20 % de la population de la Nouvelle-Angleterre a une ascendance canadienne-française et contribue à préserver le riche patrimoine de la région. Dans les États voisins de la province de Québec, ces chiffres sont encore plus élevés : les descendants canadiens-français représentent environ 30 % de la population du Maine et 25 % du Vermont et du New Hampshire. Aujourd’hui, entre 10 et 13 millions d’Américains ont au moins une ascendance canadienne-française aux États-Unis, ce qui fait de ce pays un endroit où il y a environ deux fois plus de citoyens d’origine canadienne-française que dans toute la province de Québec.
La Survivance – Résistance culturelle canadienne française
« La Survivance » est le terme que les Canadiens français ont adopté en parlant de leur lutte pour la survie culturelle. Le terme est né au Canada le long du fleuve Saint-Laurent autour de 1840 avant de se propager et d’être adopté par la plupart des Canadiens français à travers l’Amérique du Nord.
Après la conquête britannique du Canada, les choses n’ont pas changé immédiatement pour les Canadiens français. De nouveaux administrateurs et quelques marchands des Iles Britanniques sont venus au Canada pour remplacer l’élite française qui retourna en France après la conquête. Avec le traité de Paris (1763), les Britanniques ont permis aux Canadiens français de conserver leur foi catholique, même si les lois britanniques empêchaient encore les catholiques d’occuper la plupart des postes gouvernementaux, judiciaires et bureaucratiques.
Le premier gouverneur britannique du Canada, James Murray (premier gouverneur civil de 1763 à 1766), ne voulait pas être trop sévère envers les Canadiens par peur qu’ils se révoltent ou causent des ennuis. Il a permis aux Canadiens de conserver certaines de leurs lois et coutumes. Le deuxième gouverneur, Guy Carleton, comme son prédécesseur, croyait qu’être sévère envers les Canadiens français n’était pas une bonne idée si le gouvernement voulait garder leur allégeance et les empêcher de se révolter.
“La langue est la gardienne de la foi.”
— anonyme
Peu de temps après, un événement majeur s’est produit qui allait changer le sort du Canada. Avec le début des tensions dans les treize colonies qui mèneront éventuellement à l’indépendance des États-Unis d’Amérique, les Britanniques ont pris conscience qu’ils pourraient perdre à la fois les treize colonies et le Canada s’ils maltraitaient les Canadiens français.
Les Britanniques adoptent ainsi L’Acte de Québec en 1774. Cette loi britannique accordait aux Canadiens français un droit garanti de pratiquer la foi catholique, elle établissait aussi que la loi civile française serait acceptée dans la colonie pour des questions de loi privée (qui n’étaient auparavant tolérées que par les deux premiers gouverneurs). Elle a accordé plus de droits à l’Église catholique et a considérablement étendu le territoire de la province de Québec. Cette décision n’a pas complètement empêché certains Canadiens de se joindre aux Américains contre les Britanniques pendant la guerre d’indépendance. Toutefois, ces concessions prédisposaient certainement la plupart à rester neutres pendant le Siège de Québec en 1775 et pendant la Guerre de 1812, lorsque les Britanniques et les Américains étaient de nouveau en conflit.
Pour les Canadiens français, se joindre aux Américains aurait signifié risquer la perte de droits et faire partie d’un pays beaucoup plus vaste où ils auraient été une minorité distincte. C’est l’une des raisons pour lesquelles les Canadiens français n’ont répondu aux invitations officielles que le pays, qui deviendra bientôt les États-Unis, a envoyé au Canada.
Un autre impact majeur de la Révolution américaine fut l’arrivée de loyalistes anglophones au Canada après la défaite des Britanniques aux États-Unis. Avant l’indépendance des États-Unis, les anglophones n’étaient qu’une petite minorité au Canada, toujours composée principalement d’administrateurs, de marchands et de soldats. Avec l’arrivée des loyalistes, la langue française fut rapidement remplacée par l’anglais dans les régions touchées comme l’Ontario actuel, la plupart des anciennes régions acadiennes, les Cantons-de-l’Est et la région du Pontiac du Québec actuel.
L’adoption de « La Survivance » a été favorisée non seulement dû à l’arrivée des loyalistes, mais aussi par la présence de nombreux nouveaux immigrants des Iles Britanniques. Cette population anglophone augmenta rapidement et, en 1851, surpassa la population francophone au Canada. À cette époque, la population montréalaise était anglophone à 60%, tandis que celle de Québec totalisait 40%. Devenir une minorité réelle dans leur propre pays, a encouragé les Canadiens français à accepter la philosophie de survie « survivance » comme idéologie culturelle, politique et sociale. La plupart des Canadiens français ont été encouragés à éviter les classes dominantes. Ils ont été invités à accepter leur subordination à l’Église catholique et aux intérêts économiques et politiques anglais, ainsi qu’à rester pour la plupart agraires, à avoir de grandes familles et à créer un groupe social avec un niveau bas d’instruction. Ces facteurs ont empêché l’assimilation des Canadiens français au Québec et dans de nombreuses régions de l’Amérique du Nord.